L'Audace de la liberté

Paris, le 3 novembre 1793. Après plusieurs mois de détention et une parodie de procès, Olympe de Gouges, condamnée par le Tribunal révolutionnaire, est la première femme à périr sous la guillotine à la suite de Marie-Antoinette.

Arrivée de sa province natale vingt ans auparavant, cette fille naturelle d’un poète, essayiste et dramaturge élu à l’Académie française, ambitionne d’embrasser la carrière littéraire, en dépit d’une éducation qui ne l’y prépare pas.

Dans l’effervescence de ce siècle des Lumières, tandis que l’on repense la place de l’homme au sein de l’univers, Olympe songe à celle des femmes et plus largement des opprimés. Son instinct politique s’éveille ; sa plume se fait acerbe. Elle devient une pionnière de ce que l’on nommera ultérieurement le féminisme, tout en s’insurgeant contre l’esclavage à travers des pamphlets et des pièces de théâtre.

La Révolution génère un formidable élan d’espoir l’incitant à se jeter à corps perdu dans la bataille avec un courage et une détermination qui forcent le respect.

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Propos de l'auteur

La période de la Révolution est, on l’a dit, violente, cruelle, déstabilisante. Mais s’il fallait se confronter à cela pour rencontrer un être exceptionnel comme Olympe de Gouges, alors la démarche en valait la peine.

Elle appartient, elle aussi, à ces personnages historiques qui ont pâti du roman national créé de toutes pièces, ainsi que de la misogynie phénoménale du XIXe, qui s’étire d’ailleurs jusqu’aux trois quarts du siècle suivant.

Lorsqu’on découvre l’entièreté de ses écrits, on est frappé par leur incroyable modernité, car il faudra patienter presque deux cents ans avant que ses préconisations n’entrent en effet dans les mœurs ! Revendiquer pour les femmes l’union libre, la reconnaissance des enfants nés hors mariage, le droit de voter comme celui de divorcer, de mener une carrière politique, de décider pour elles-mêmes, et que les Noirs puissent être les égaux des Blancs est, à cette époque, une véritable gageure. Le plus déroutant est son obstination, sa volonté de poursuivre coûte que coûte cette lutte qu’elle estime essentielle. Olympe ne regarde pas sa vie, elle agit en fonction de l’éternité.

Alors que s’instaure la Terreur, elle ne peut qu’entrevoir ce qui l’attend et ose l’écrire. Elle est au cœur du dispositif, se rend à l’Assemblée nationale quotidiennement, entend les débats, assiste aux massacres et aux exécutions sommaires. Elle ne peut ignorer que s’obstiner dans cette voie en s’opposant à Robespierre la condamne à mort. Or, si l’on décèle parfois le découragement sous sa plume, on y cherchera en vain la moindre trace de résignation. Elle ne parvient pas à abandonner ce qu’elle croit être juste, au nom d’une raison supérieure qui la dépasse. On en a fait une hystérique, une dépravée, une instable ayant perdu tout sens commun au seul motif que la lâcheté eût été de mise devant ce manifeste déséquilibre des forces ! On a même détruit une partie de son œuvre pour limiter son importance dans l’histoire et, quelque temps après sa mort, son fils Pierre, qu’elle a tant chéri et aimé, l’a reniée dans le but de sauver sa tête...

Peu de figures du passé ont subi une telle vindicte, au point qu’il manque beaucoup de détails sur sa vie intime et son emploi du temps, ce qui est préjudiciable au rétablissement d’une image plus fidèle du personnage.

Par ailleurs, en poursuivant mes recherches, cet écho singulier avec la destinée de Marie-Antoinette, sur certains sujets, m’a semblé un angle d’écriture intéressant.

Olympe de Gouges et Marie-Antoinette de France auront mené un combat pour l’émancipation. Olympe pour les autres, Marie-Antoinette pour elle-même. Mais nul hasard si c’est à la souveraine que l’écrivain envoya sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.

L'une fut une tête folle que l'on a couronnée, l'autre une intellectuelle sans couronne. Mais toutes deux ont désespérément cherché la liberté jusqu'à leur mort.

« La crainte fit les dieux, l’audace a fait les rois », a écrit Crébillon.

J'ai tout de suite compris que je rencontrais en Olympe ma deuxième reine des Lumières !

Avec elle, j'ai grandi et j'ai appris. Elle appartient à ces personnages historiques qui nous donnent envie d'être dignes de leur sacrifice. J'ai pour elle un profond respect et une immense gratitude.

Sa vie ne peut que nous inspirer.

Extrait

– Notre amie a grandement raison, reprit Condorcet. Il est des combats qui sont loin d’être gagnés et qui nécessitent l’ensemble de nos forces vives !

Inspecteur général des monnaies, le célèbre mathématicien, appelé l’année précédente au ministère de Turgot, s’était tourné depuis peu vers la philosophie et la politique.

– J’ai besoin de tous les soutiens, car j’entends défendre les droits de l’homme et surtout ceux des opprimés, des personnes non représentées, de celles qui n’ont jamais voix au chapitre !, affirma-t-il.

– À qui pensez-vous en particulier ?, demanda Olympe, soudain captivée.

– Aux femmes, aux Juifs, aux Noirs, énuméra celui qui venait d’obtenir le poste de secrétaire de l’Académie des sciences. Il est temps que l’on parle pour eux et qu’on leur donne enfin dans notre société la place qu’ils méritent !

Chacun approuva d’un hochement de tête. On savait Condorcet extrêmement talentueux, bien en cour, ayant l’oreille du roi et l’estime de ses pairs. S’il faisait sien ce combat, il avait de grandes chances de modifier les consciences et d’éclairer les esprits.

Mme de Gouges lui vouait une réelle admiration, bouleversée par son allant et par ces propos qui atteignaient son âme. Son histoire personnelle trouvait ici un écho singulier. Elle avait appartenu, elle aussi, à cette cohorte de gens épris de liberté et qui ne pouvaient même pas prétendre espérer en leur avenir.

Éblouie, elle releva la tête et planta son regard dans celui de son interlocuteur.

– Je vous en prie, monsieur de Condorcet, instruisez-moi de vos projets, intima-t-elle.