Marie-Antoinette ouvre les JO

 

 

La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques a fait couler beaucoup d’encre. Force est de reconnaître que si le but était d’en faire un événement inoubliable, l’objectif est atteint. Il y eût, au cours de cette mémorable soirée, des moments tutoyant le sublime.

Des polémiques sont nées ensuite. Nous ne serions pas la France s’il n’y avait pas de débats !

La décapitation de Marie-Antoinette a soulevé un torrent d’indignation. Il est vrai que la décollation revêt hélas aujourd’hui une connotation particulière. Et l’on peut aussi s’étonner que dans notre glorieux roman national, on ait pu choisir ce triste épisode qui ne nous honore pas.

Pourtant, ce tableau dont l’esthétique était en tout point remarquable a suscité chez moi une toute autre réaction. Je me suis sentie convoquée, extrêmement mal à l’aise, violentée, devant ces images de tout ce sang dégouttant des étroites fenêtres de la Conciergerie. Et soudain, derrière cette beauté aussi morbide que fascinante, j’ai entrevu le symbole qu’il nous fallait peut-être atteindre, et ce d’autant plus qu’Olympe de Gouges était peu après mise à l’honneur.

L’engouement des Français, qui ne se dément pas, pour la monarchie d’Angleterre montre que par-delà notre héritage à présent fondamentalement républicain, l’intérêt subsiste. Les ouvrages sur Marie-Antoinette font toujours recette et une bonne partie des Français, celle qui connait son histoire, n’ignore pas que le peuple avait voté la monarchie constitutionnelle et que c’est un coup d’État particulièrement violent qui a installé la Terreur pour proclamer, dans le sang, la République.

L’assassinat de Louis XVI et de son épouse ont laissé des traces dans l’inconscient collectif.

Le choix qui a été fait lors de cette soirée inaugurale n’est pas un hasard. Peut-être veut-on essayer d’en rire pour ne pas en pleurer ? Toujours est-il que c’est une page de notre histoire qui au fond, inconsciemment, nous dérange.

Cette cérémonie nous a forcément mis en face d’un épisode dont nous ne pouvons guère nous enorgueillir. On a fait monter à l’échafaud une reine de France à la suite d’une parodie de procès, un jugement inique dont la France et les révolutionnaires ne ressortent pas grandis.

Sa grandeur dans ce moment tragique continue de fasciner.

Elle était belle, adorait la mode, chérissait ses enfants qu’elle élevait selon les principes modernes de l’époque hérités de l’Émile de Rousseau ; elle était éprise de liberté et aimait à déjouer tous les codes. Si Marie-Antoinette avait vécu au XXIe siècle, elle eût été une icône pop !

Lorsque Robert Hossein avait réalisé son spectacle interactif sur la reine martyre, il faisait voter le public à la fin du show. Et chaque soir, le public se prononçait en faveur de l’exil, jamais de la guillotine.

Ce tableau qui montrait le sang versé depuis la Conciergerie, je l’ai appréhendé comme la honte que peut nous inspirer la Terreur, qui a envoyé des milliers d’innocents au supplice et peu importe au fond, les intentions de l’artiste qui l’a mis en scène : ce qui compte est la manière dont nous le recevons. Ce qui s’est effectivement passé à la Conciergerie (et ailleurs !) à cette époque est une abomination.

Cette représentation symbolique à l’esthétique léchée, d’une beauté sublime, presque onirique et assurément cathartique, avec ces rubans de soie rouge que vomissaient les embrasures des fenêtres et ces fumigènes qui embrasaient le site, ont composé les images d’un cauchemar halluciné et ensanglanté qui peut sonner comme une mise en garde :

« Souvenons-nous de notre histoire, car certes, nous sommes une grande nation ; et oui, nous prônons la démocratie et l’esprit des Lumières, mais tout cet équilibre demeure plus que jamais fragile et peut basculer dans la folie sanguinaire.

N’oublions jamais qu’il est toujours possible, même après des siècles de combat, de perdre nos droits, ces droits que nous avons mis tant de temps à conquérir », ainsi que nous le rappelle Olympe de Gouges, représentée peu après dans ces tableaux vivants.

Et qui mieux que Marie-Antoinette, étrangère arrivée à la Cour sans posséder notre langue et qui s’est pourtant exclamé plus tard « je n’entends plus ces mots, je suis reine de France » alors qu’on l’apostrophait en allemand ; qui mieux que cette femme ayant connu tous les honneurs et les privilèges pour finir dans l’humiliation, le supplice et le renoncement de sa liberté pour nous rappeler cette terrible vérité quant à la fragilité de nos acquis ?

Alors plutôt que de considérer outrageante la présence de notre dernière reine, sanguinolente et décapitée, dans cette cérémonie d’ouverture qui s’adressait au monde entier, réfléchissons au message qu’elle a peut-être délivré dans cette incandescente et époustouflante mise en scène : « Défendons avec courage nos acquis et notre liberté, soyons fiers de notre pays et savourons notre chance d’être Français ! ».