UN AUTRE CHEMIN
Dans un monde fracturé, où les tensions s’exacerbent, il apparaît plus que jamais indispensable d’appréhender le tempérament et la psychologie qui habitent nos futurs dirigeants. On oublie souvent que le personnel politique se compose d’hommes et de femmes modelés par un passé, une enfance, une histoire. Au-delà d’une campagne durant laquelle chaque candidat tente de mettre en avant un contenu programmatique et d’éventuelles convictions, approcher la nature profonde de qui se présente à un mandat électif est une nécessité, car il s’agit de la personne ultérieurement chargée de réguler notre quotidien, donc susceptible de prendre des décisions ayant un impact notable sur nos vies. Nulle autre crise que celle, majeure, de la dernière pandémie ne révèle davantage la relation à l’humain de ceux qui eurent des responsabilités à cette époque. Faisons l’effort de nous en souvenir, car cela n’est pas anodin. Ce flash-back primordial peut éclairer l’avenir, tant il démontre que l’on reconnaît les princes dans la guerre.
Le 15 avril 2020, déclaration de 1 438 décès de la Covid-19 en France.
Pour moi, ce sont 1 437 morts et… mon père.
Paradoxalement, ce n’est pas son hospitalisation en urgence qui fut le plus difficile, c’est l’innommable que l’on m’a imposé : interdiction de l’accompagner dans l’ambulance, de le visiter, d’être à son chevet, de le réconforter et de le rassurer. Si j’emploie le mot « innommable », c’est que l’unique manifestation d’humanité que j’ai croisée durant cette épreuve fut celle du médecin que je contactais matin et soir. Lui-même était révolté par ces mesures, lesquelles augmentaient de surcroît sa charge de travail alors écrasante et rendaient l’atmosphère à l’hôpital, déjà sinistre, carrément délétère. Épouvantés face à la détresse des malades, les soignants remplissaient des gants chirurgicaux d’eau chaude afin de donner l’illusion aux patients agonisants que quelqu’un leur tenait la main…
Dans quel monde avions-nous basculé ?
La souffrance de mon père devenant insoutenable, j’ai dû me résigner au pire et consentir à l’administration d’hypnotiques pour entamer une sédation. Son euthanasie a donc été convenue par téléphone. On m’a empêchée de le revoir, de le serrer dans mes bras.
Je n’ai pas pu aider à mourir celui qui m’avait aidée à grandir.
Il est parti seul, abandonné des siens.
Une violence psychologique absolue, édictée froidement depuis un bureau, qui ne s’est pas arrêtée là : je n’ai eu droit qu’aux quinze minutes réglementaires pour dire adieu à sa dépouille, son cercueil posé sur des tréteaux sous la pluie, devant le crématorium du Père-Lachaise.
Cinq ans après, ces images ne s’effacent pas ; la douleur perdure.
Faut-il rappeler qu’à cette période nous disposions d’une heure pour faire du jogging ?…
Les anthropologues datent le début de ce que l’on a nommé la « civilisation » à l’institution de rites funéraires, l’un des critères d’évaluation de l’avancée culturelle d’un peuple étant précisément le respect qu’il témoigne à ses défunts.
On appréciera.
Cette déshumanisation engendrée par des choix politiques effarants et sans précédent dans le droit français doit nous interroger et nous inciter à une prise de conscience, rien ne justifiant en effet ces diktats absurdes et traumatisants, pas plus que les bars en statique, les plages en dynamique ou les « autoautorisations ». Tout comme rien ne justifie à présent les ZFE [1] qui défendent aux automobilistes de circuler ou les DPE [2] qui interdisent aux propriétaires de louer leurs appartements.
Ce à quoi nous assistons aujourd’hui fait écho à ce qui s’est institué en 2020, puisque force est de constater que, dans les années qui ont suivi, la peur du réchauffement climatique a remplacé la peur de la Covid, elle-même relayée par la peur de la guerre.
Ma réflexion porte non pas sur les enjeux des crises évoquées, que je ne dénie nullement, mais sur la manière de les aborder. La rhétorique de la terreur ne vise in fine qu’à asseoir une emprise destinée à imposer l’obéissance. On retrouve sous la plume de Machiavel, comme dans l’œuvre de La Boétie, l’idée que la peur est le premier pas vers la soumission. Elle permet alors de valider une ingérence et une surveillance inacceptables, de commettre, avec une absence totale d’empathie, toujours plus de normes déconnectées de tout principe de réalité, édictées sans aucune étude d’impact, s’appuyant la plupart du temps sur des mensonges ou des inventions. Ces dernières affectent et aliènent nos vies, tendant à une quasi-réification des citoyens, censés n’avoir ni sens des responsabilités, ni aspirations, ni initiatives pertinentes, ni élévation ; ce qui aboutit à une société dépressive que déserte l’espoir. L’avenir s’annonce certes difficile et complexe. Cependant, il est extrêmement préjudiciable de l’envisager comme une angoisse. Il nous appartient de nous inscrire au contraire dans une ère nouvelle, riche en promesses, d’être courageux et innovants plutôt que terrifiés et soumis !
Or, justement, un élu a pensé et affronté la crise différemment, démontrant avec pragmatisme et audace l’existence d’un autre chemin…
On a eu connaissance du fait que David Lisnard, maire de Cannes et président de l’Association des maires de France, avait soutenu le maintien de l’ouverture des librairies en sa ville, affirmant qu’elles étaient des « commerces essentiels », ce qui disait déjà beaucoup de lui ; mais je viens d’être informée qu’il s’était par ailleurs opposé aux effroyables interdictions d’assister les siens dans la maladie et de les accompagner dans la mort. Ces décisions symboliques affichent un signal fort et la preuve concrète – ce dont je n’ai jamais douté – que, tout en refusant de céder à la peur, la santé peut être protégée sans que l’intellect ni l’affect ne soient sacrifiés, sanctuarisant de la sorte une loi intangible de la vie, puisque ces trois instances déterminent le parcours d’un être humain.
Apprendre qu’un édile a été fidèle à ses convictions jusqu’au cœur de cette dramatique épidémie où l’on a eu le sentiment que la société entière cédait à l’hystérie a motivé la rédaction de cet article, tant la portée de sa démarche outrepasse la crise sanitaire.
Ainsi, ces choix de gouvernance sont signifiants, car ils se veulent également philosophiques et anthropologiques. Ils proclament qu’il est non seulement possible mais nécessaire, dans tous les domaines de l’engagement public, d’assurer la sécurité collective sans infantiliser, d’encadrer sans déresponsabiliser et de renoncer à l’ingérence au sein de la sphère privée.
En estimant que ces directives gouvernementales irrationnelles bafouaient nos droits fondamentaux, David Lisnard a promu, une fois encore, un cheminement qui lui est propre : celui d’une recherche de justification et de sens à ce qu’un élu prétend imposer à ses administrés, y compris aux heures les plus critiques, en réaffirmant sa volonté de préserver à toute force les libertés individuelles.
Seul un être possédant cette hauteur de vue se révélera digne de représenter et diriger les citoyens que nous sommes.
Car cette conscience politique éclairée nourrit une valeur essentielle qui n’est autre que le respect de la dignité humaine.
[1] . Zones à faibles émissions.
[2] . Diagnostics de performance énergétique.