Un Johnny nommé désir
Ainsi la France vient de dire adieu à Johnny Hallyday. L’annonce de sa mort n’a pas été une surprise : on savait l’homme très malade et sa récente hospitalisation pour détresse respiratoire n’était guère encourageante. Lorsque la nouvelle est tombée, j’ai bien sûr pensé à ses proches dans le deuil et le chagrin. Mais, toute meurtrie encore par la disparition de Jean d’Ormesson, je n’ai pas vraiment pris la mesure de mes sentiments personnels devant celle de ce monument de la chanson française à la voix incomparable. Une mélodie s’est simplement imposée à moi, la chanson Tennessee, que j’ai toujours beaucoup aimée et que je fredonnais sans en avoir vraiment conscience.
À distance de l’événement, il me vient quelques réflexions. La première est le tort qu’a pu faire l’émission des Guignols quant à l’image de Johnny. Je suis la génération Canal +. Cette chaîne innovante, jeune et dynamique a vu le jour l’année de ma terminale. Nous étions incontestablement influencés par ce nouvel esprit et les Guignols faisaient partie de nos « incontournables ». Je réalise que je n’ai pas ensuite cherché à dépasser ce portrait peu flatteur.
J’ai vu Gainsbourg, Polnareff, Lavilliers, Lavoine, Farmer, Souchon, Goldman en concert, mais ne me suis jamais déplacée pour Johnny. J’ai pourtant toujours été très séduite par sa puissance vocale et l’ai toujours considéré comme un immense artiste. Depuis son départ, les chaînes passent en boucle ses interviews et ses tubes et je découvre à la fois un homme intelligent, sensible et simple en dépit de sa célébrité. Un homme ayant de l’humour et sachant, chose rare, rire de lui-même. Mais je découvre aussi, stupéfaite, que moi qui pensais ignorer sa discographie, je connais nombre de ses chansons et qu’à ma grande surprise, il m’a accompagnée discrètement, presque à mon insu, durant toutes ces années. Jamais je n’aurais pensé suivre ses obsèques, émue, à la télévision et déplorer sincèrement, comme tant d’autres personnes, son départ. Nous perdons un artiste au talent immense et sans doute inégalé en France.
Mais cela va plus loin.
Nous enterrons une énergie folle, une puissance créatrice, une démesure assumée, une sorte de folie contagieuse qui nous faisait aimer. Aimer cette fougue, cet enthousiasme, ce besoin constant de se dépasser. En dépit de ses fêlures, Johnny Hallyday savait communiquer un appétit de vie incandescent, un remède au chagrin et à la dépression. Force est d’écrire que notre rocker était un remède au blues…
Avec lui s’en va peut-être, à notre insu, l’enthousiasme qui nous fait tant défaut aujourd’hui et c’est aussi sans doute ce que nous pleurons devant ce cercueil blanc qui l’emporte loin de nous. Tant de radios ont écrit que l’on avait tous en nous quelque chose de Johnny ! Le jeu de mots était facile, mais il est tellement vrai ! Et puisqu’il adorait Tennessee Williams au point de lui consacrer l’un de ses plus beaux tubes, on peut dire que nous perdons aujourd’hui un chanteur qui donnait envie d’avoir envie :
Un Johnny nommé désir.