« Fracasse », la pièce qui revisite brillamment Théophile Gautier

 

Situé sur un promontoire rocheux surplombant tout un village, le château de Grignan, forteresse médiévale transformée à la Renaissance en château de plaisance, accueille le soir, jusqu’au 21 août sur sa terrasse les comédiens de Fracasse, la pièce adaptée par Loïc Varraut et Jean-Christophe Hembert à partir du célèbre roman de Théophile Gautier. Une écriture ciselée, fidèle au texte original, mise en scène par Jean-Christophe Hembert, avec tout le talent qu’on lui connait.

Dès l’ouverture, la farandole des comédiens nous entraîne dans une ambiance de cabaret pour évoquer leur monde si particulier de la scène où tout n’est qu’illusion. Le spectateur comprend d’emblée que le message sera intemporel même si, à aucun moment, on ne prendra le texte ou le jeu des acteurs en flagrant délit d’anachronisme.

Vagabondant avec une légèreté qui n’est que feinte dans cet univers marginal, où l’on divertit toute une vie sans avoir droit à être enterré en terre chrétienne à son trépas, la pièce nous plonge dans une mise en abyme prenante qui invite, non sans susciter le rire, à la réflexion. Nous suivons avec empathie cette troupe de comédiens auxquels va se joindre le baron de Sigognac, un noble ruiné, mélancolique et désabusé. Théâtre dans le théâtre, faux-semblants et faux-fuyants.  Fracasse, comme son titre ne le laissait pas supposer, est l’histoire d’une renaissance. Ou alors faut-il que tout soit détruit pour que l’on puisse enfin reconstruire ? Une phrase servira de guide au spectateur qui se laisse entraîner – « manipuler comme une marionnette » serait sans doute plus juste –  par le rythme soutenu de la mise en scène, le jeu enthousiaste des acteurs et la beauté du lieu : « qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? » interroge un personnage. L’amour, le théâtre, la mort, les mots, les hasards de notre naissance, notre héritage… De quoi sommes-nous asservis, qu’est-ce qui nous libère ? La vie est-elle une farce tragique, un drame comique ? Quand un acteur cite ici Le Cid, c’est pour nous faire rire ! Ne soyons pas dupes, semble nous murmurer le texte oscillant entre profondeur et dilettantisme. Sans doute la raison pour laquelle la mise en scène vient à l’appui de ce trompe-l’œil. Comme à l’accoutumée Jean-Christophe Hembert, naguère disciple du grand Planchon, nous prend par la main en suggérant un univers qu’il nous appartiendra de recréer. Un détail nous emmène en poésie, un autre nous ramène vers la Comedia del arte. Le spectateur, balloté entre l’émotion et le rire retrouve ainsi l’éternel humain. Des thèmes intemporels, comme la séduction, l’abus de pouvoir, ou la tentation du sublime côtoient les aspects triviaux mais tout aussi éternels de notre existence telles une gourmandise rabelaisienne, la paillardise et l’attirance de la chair.

On l’aura compris, sous les étoiles et le ciel pur de l’été, l’écrin somptueux du château de Grignan où repose Madame de Sévigné accueille un joyau. Fracasse est une pièce à laquelle on repense, comme si on l’emmenait avec soi, à l’image de ces saltimbanques itinérants qui se sont offerts à nous en spectacle.

Nul doute que la grande épistolière qui gît en ces lieux, dont les lettres narraient par le menu à Madame de Grignan, sa fille, les spectacles de la Cour du Grand Siècle a eu dans l’au-delà envie de reprendre sa plume.

Fracasse nous tend un miroir amusé et désabusé de la condition humaine. Nous faudrait-il donc sourire pour ne point se chagriner ? Sommes-nous doubles ou bien dupes ? Dans la sincérité ou la manipulation ? Jean-Christophe Hembert choisit de conclure en ouvrant encore le débat. « Je est un autre » nous murmure Rimbaud à la tombée du rideau. Entre identité et altérité, on s’est amusé franchement, sous les étoiles de Grignan…