Glisser de la polémique au débat
Les commémorations de la Première Guerre mondiale ont donné lieu à une avalanche de commentaires et de discussions sur l’opportunité d’honorer ou non la mémoire de l’ex-Maréchal Philippe Pétain qui s’est illustré à Verdun, mais dont le parcours funeste le mena à incarner, lors du conflit de 39-45, le gouvernement collaborationniste de Vichy. Citer simplement son nom dans un discours, comme cela avait été fait sous de précédents mandats, aurait largement suffi. Toutefois, la question intéressante dépasse cette polémique…
Elle fait directement référence au traitement de notre histoire.
Que l’on s’indigne de cet hommage est parfaitement légitime. Que l’on argumente afin de montrer en quoi il serait tout à fait déplacé est pédagogique et intéressant. Mais que l’on ose proclamer que « l’on ne doit pas toucher au roman national », comme on a pu l’entendre, voilà qui est dérangeant. Si Pétain ne doit pas être honoré, c’est en vertu de ce qui lui est reproché, non parce qu’il est intouchable.
Si l’on connaît la nature de certains faits -citons à titre d’exemple le massacre de la Saint-Barthélémy- le déclenchement, les personnes impliquées, les responsabilités, les motivations, les enjeux peuvent toujours être sujets à étude. Certains événements de notre histoire, comme le génocide vendéen, ont longtemps été occultés voire niés par ce fameux « roman national ». Devons-nous considérer que Michelet aurait une fois pour toutes fixé l’histoire de l’Ancien Régime et que point n’est besoin de la remettre en cause ? Que ce que racontent aujourd’hui nos livres d’histoire est gravé dans le marbre et ne suit aucune orientation politique, qu’il s’agisse de l’histoire ancienne ou récente ? On sait pourtant que les manuels scolaires se modifient au fil du temps et des pouvoirs en place…
La remise en question s’avère donc absolument nécessaire. Elle est saine et source de découvertes.
Si l’on s’en était tenu au seul « roman national », nous n’aurions jamais réhabilité le capitaine Dreyfus frappé d’infamie, nous aurions continué de croire, comme cela fut enseigné aux élèves du début du XXe, que Catherine de Médicis était une reine noire ayant empoisonné ses enfants, que Louis XI enfermait sadiquement à Loches ses prisonniers dans des geôles ayant la taille d’une cage ; nous aurions continué de faire de Robespierre un héros romantique en l’exonérant du massacre de milliers d’innocents, ou de présenter Louis XVI comme un benêt et Marie-Antoinette comme celle qui ruinait la France !
Tout débat se doit de rester ouvert, car l’histoire est une discipline en mouvement. Évoquer un personnage historique ne revient ni à l’encenser ni à l’exonérer de ses fautes, mais à comprendre les événements et à les expliquer aux générations nouvelles. La transmission ne passe pas par le silence.
Montrons que l’on a su préserver l’esprit des Lumières, celui qui ne refuse jamais de croiser le fer, qui accepte la contradiction, la remise en question, l’opposition. Aucun personnage historique ne doit être « intouchable », comme on a pu l’entendre, et l’expression même de « roman national » prouve à elle seule combien la fiction peut y prendre sa part. Assumons notre histoire, interrogeons-la, fouillons-la et ne la renions jamais : elle est ce qui nous lie, ce qui nous porte. Elle est notre passé et préfigure notre avenir. Et qu’elle soit sublime ou indigne, elle est à notre image : vivante !