La liberté de conter fleurette…

La liberté semble désormais un problème dans notre pays. Les polémiques s’enchaînent sur ses différentes manifestations : celle de tout dire, d’être différent, de créer, de stigmatiser, de revendiquer, de contester ou de se démarquer ; la liste est longue.

Un groupe de femmes publie une lettre qui dénonce ce qu’elles appellent la « vague purificatoire », nous alertant notamment sur cette dérive inquiétante qui consiste à limiter de plus en plus la liberté d’expression au nom, cette fois, de la protection des femmes.

Modifier la fin de l’opéra Carmen pour ne pas mettre en scène de la violence faite à une femme est d’une stupidité confondante et une offense faite à l’œuvre de Bizet. Certains éditeurs auraient demandé à des écrivains de majorer le rôle des personnages féminins, d’insister sur leur souffrance et de forcer le trait pour dénoncer le sexisme. Cela embrasse la tendance actuelle, sans doute à des fins mercantiles, mais cela modifie aussi le regard que nous portons sur nous-mêmes et sur notre société, puisque l’art s’en veut, pour une large part, le reflet. Ce cahier des charges envers les artistes et les créateurs devient extrêmement préoccupant dans un pays soi-disant démocratique. Au passage, et dans un tout autre domaine, la page de garde des albums Astérix, emblématique de la collection, « Toute la Gaule est occupée. Toute ? Non ! Un petit village résiste encore et toujours à l’envahisseur, etc. » a été supprimée dans le dernier opus. Interrogée sur le sujet, la maison d’édition s’en est sortie par un « no comment ». Pas de hasard, là non plus. Politiquement correct, donc.

Mais revenons à notre sujet. « On a peut-être toujours raison de se révolter, mais on n’a pas raison sur tout quand on se révolte », écrit Pascal Bruckner. À force de vouloir bien faire, on arrive à des aberrations. Ainsi, la loi visant, par exemple, à pénaliser les réflexions sexistes dont les femmes sont victimes dans la rue est-elle une absurdité. Je me promène et entends un homme m’adresser des propos injurieux ou salaces. Je peux, maintenant, interroger l’indélicat, noter gentiment ses coordonnées et son état civil et me rendre au commissariat le plus proche afin de porter plainte. Un vrai progrès ! Par la suite, et pour peu que ma plainte aboutisse, on me dira naturellement, et à juste titre, que je n’ai aucun témoin et que c’est sa parole contre la mienne. Cette loi est, on le voit, inapplicable et d’une inanité confondante. Un effet d’annonce parmi tant d’autres.

Vient ensuite le harcèlement à proprement parler. Là, le débat est plus compliqué. On ne peut mettre sur le même plan le lourdaud qui vient s’asseoir près de vous dans un parc, que vous allez éconduire en deux phrases et celui qui se colle littéralement à vous dans le métro et passe sa main entre vos jambes. Car là, non, mesdames les signataires, il ne s’agit pas d’un « non-événement ». Tout est une question de curseur et si la liberté de séduire est aussi ce que prétend défendre légitimement cette lettre, l’expression « liberté d’importuner », même si celle-ci est le corollaire de la première, semble pour le moins maladroite, et c’est bien ce qui a permis à beaucoup de gens se présentant comme « féministes » de dénoncer ce texte. Une simple erreur, mais fatale, et qui est très dommage.

La lettre se termine par l’idée qu’il est indispensable d’éduquer les filles à réagir, à ne pas se poser en victimes. Certes ! Une grande partie de la solution au problème passe par l’ÉDUCATION. Mais pas seulement celle des filles !! Dommage, là encore, de s’arrêter en si bon chemin ! Car si l’on doit apprendre aux demoiselles à ne pas être des victimes, apprenons aussi aux garçons à ne pas devenir des bourreaux. Le respect de l’autre s’enseigne et s’acquiert dès l’enfance, dans l’altérité, la patience et les explications. Dans l’exemple, aussi. Un enfant qui voit son père traiter sa mère -et les femmes en général- avec respect aura sans doute plus de chance d’être respectueux à son tour, une fois devenu grand. Et je m’étonne que cet aspect-là, qui est pourtant essentiel, voire primordial, ait été passé sous silence. On a un peu la sensation de femmes parlant des femmes… aux femmes ! Nous vivons tous ensemble, pourtant !

La réponse allemande aux agressions sexuelles qui a consisté cette année à créer des zones exclusivement réservées aux femmes pour le nouvel an fait froid dans le dos. Plus de surveillance, plus de sécurité, plus d’encadrement aurait permis de maintenir la mixité qui est l’une des composantes non négociables de nos sociétés occidentales. Censurer, interdire, séparer, parquer les gens n’a jamais rien apporté de positif. C’est pourtant les options qui semblent être retenues de plus en plus.

L’équilibre est difficile à trouver.

Protéger les femmes du harcèlement et du viol, qui est un crime, en voulant mettre hors d’état de nuire les goujats, les harceleurs et violeurs sans pour autant décourager les hommes et tuer l’art de la séduction semble être ce dont il est question. Pourtant le débat est assurément biaisé. Car ce ne sont pas les mêmes ! Depuis l’homme de pouvoir au jeune voyou, aucun violeur/harceleur n’ignore qu’il harcèle ou qu’il agresse. Expliquer qu’il faut encadrer ceci et interdire cela parce que « parfois on ne se rend pas compte » est assez hypocrite. La France montre sans cesse du doigt l’Amérique et son affaire Weinstein, alors que le milieu médiatico-politique français comporte lui aussi des individus peu recommandables que les femmes évitent, dont elles parlent entre elles, et que l’on nomme joliment des « séducteurs » dans les médias. Ces hommes occupent des postes importants et harcèlent en toute impunité. Sans doute les hashtags #MeToo et #BalanceTonPorc les inquiètent-ils un peu, car ils ont certes libéré la parole des femmes. Toutefois, ces dénonciations ont aussi donné lieu à des débordements tout aussi violents. On ne peut valider, dans une démocratie, le fait d’accuser sans preuve et de façon souvent anonyme sur les réseaux sociaux. Nul ne saurait se substituer à la justice. Alors que faire ?

Apprendre aux filles/femmes à ne pas subir en silence, enseigner aux garçons/hommes à respecter un refus, créer des groupes de paroles dans les lycées ou les entreprises pour montrer où placer les curseurs est probablement plus approprié que ce à quoi nous assistons actuellement.

Protéger les femmes et obtenir l’égalité des sexes est un combat auquel il ne faut pas renoncer. Il ne passe ni par la dénonciation sauvage, ni par l’écriture inclusive, ni par la censure, ni par une forme de puritanisme dans l’art, mais par l’éducation. Les hommes et les femmes sont faits pour vivre ensemble, s’aimer, se déchirer, se conquérir, se fuir, se retrouver. Au-delà des codes et de la bien-pensance. Dans le respect de l’autre et la confiance. « Il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux » écrivait Musset. Il nous faut préserver la liberté de séduire, la galanterie, le badinage et le marivaudage, le jeu de l’amour et de la tentation qui sont autant de délicats jardins à cultiver car conter fleurette recèle parfois des parfums bien enivrants !