Marianne Cohn au Panthéon de notre histoire

Jean-Pierre Guéno est écrivain et historien. C’est aussi un « passeur de mémoire » comme en témoignent ses écrits, tous plus poignants les uns que les autres, sur la Grande Guerre, De Gaulle, les poilus… Il traque sans relâche la vérité historique derrière le récit national, passant au peigne fin lettres, manuscrits et archives. Chaque année, il me fait part de l’une de ses découvertes à travers son message de bonne année. Je ne résiste pas à en publier un extrait de celui de cette année. C’est un témoignage glaçant, inhumain. Mais il est terriblement nécessaire.

Parce que l’antisémitisme n’a jamais été aussi virulent, et parce qu’être oublié(e), c’est mourir une seconde fois.

Simone Veil a été panthéonisée en 2018. Les femmes sont encore trop rares au Panthéon comme à l’Académie Française où elles ne sont que 5 pour 40 fauteuils. En ce début d’année 2020 et en guise de vœux je voulais te transmettre la triste mais si belle histoire de Marianne Cohn dont le nom ne doit pas disparaître des écrans radar de nos mémoires et qui serait digne, elle aussi, de rejoindre les « grands hommes » du Panthéon.

Marianne Cohn nait le 17 septembre 1922 en Allemagne à Mannheim. Sa famille fuit la montée du nazisme, rejoint l’Espagne et Barcelone en 1934, puis la France et Paris en 1938. A la déclaration de la guerre, les parents de Marianne Cohn sont internés au camp de Gurs, en tant que citoyens allemands et seront ultérieurement livrés aux Nazis par le Gouvernement de Vichy. Marianne et sa sœur Lisa ont reçu une éducation laïque. Elles sont alors prises en charge par les Éclaireurs israélites de France à Moissac et elles découvrent à cette occasion la culture d’une religion qu’elles ne pratiquent pas. En 1942, Marianne adhère au Mouvement de la jeunesse sioniste pour venir en aide aux enfants juifs, menacés de déportation. En Avril 1944, elle œuvre sous le nom de Marie Colin en tant qu’assistante sociale chargée de veiller sur les enfants avant leur exfiltration vers la Suisse. Elle est arrêtée et incarcérée une première fois à Nice en 1943 et relâchée trois mois plus tard.  En Janvier 1944, elle intègre dans le réseau Garel l’équipe des convoyeurs où elle remplace Mila Racine arrêtée le 21 octobre 1943. Chaque semaine, deux ou trois groupes d’une vingtaine d’enfants juifs issus de toute la zone sud, franchissent clandestinement la frontière, après être passés par Lyon et par Annecy. Dénoncée, Marianne Cohn est arrêtée le 31 mai 1944, près d’Annemasse, à seulement 200 mètres de la frontière suisse avec un groupe de vingt-huit enfants, et enfermée à l’hôtel Pax, devenu une prison de la Gestapo. Douze des enfants — garçons et filles — de plus de 14 ans sont retenus dans la prison ; les autres, les « petits » sont « placés » par le maire d’Annemasse dans une colonie de vacances catholique. Marianne Cohn torturée ne parle pas. Son réseau lui propose de la faire évader, mais elle refuse, comme l’avait fait dans les mêmes conditions Mila Racine, craignant des représailles contre les enfants.

Dans la nuit du 7 au 8 juillet 1944, la Gestapo de Lyon dirigée par Klaus Barbie envoie une équipe à Annemasse, pour sortir de leur geôle six prisonniers, dont Marianne Cohn, et les assassiner, à coups de bottes et de pelles, le 8 juillet au matin. Marianne et l’autre femme du groupe ont été violées avant d’avoir été massacrées. Le maire d’Annemasse a réussi à sauver les enfants. Marianne allait avoir 22 ans. On a découvert son corps dans une fosse commune le 23 août 1944. Deux de ses meurtriers se sont fait photographier à côté de sa dépouille. Alors qu’elle était torturée et qu’elle vivait son martyre, Marianne Cohn, a écrit ce texte dans sa geôle :

Je trahirai demain, pas aujourd’hui
Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles
Je ne trahirai pas !
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi, je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures avec des clous.
Je trahirai demain. Pas aujourd’hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre.
Il ne me faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain. Pas aujourd’hui
La lime est sous le carreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime n’est pas pour le barreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd’hui, je n’ai rien à dire.
Je trahirai demain

 

C’était la merveilleuse ruse de Marianne Cohn : la procrastination. L’art de toujours remettre au lendemain ses aveux et son éventuelle trahison pour ne jamais céder sous la torture. Que Marianne repose en paix dans nos mémoires.

Jean-Pierre Guéno