Parce que vivre tue !

Dans un précédent article, j’ai évoqué l’espoir dont nous avions besoin, à travers une nécessaire liberté. Cette crise sanitaire et la manière souvent diamétralement opposée qu’ont les gens de la vivre interroge en effet notre rapport à l’humain, à la vie. Or on découvre peu à peu que la politique en général et nos modes de pensée en particulier sont en réalité directement indexés sur notre relation à la mort, laquelle a commencé à s’effacer de nos vies, puis de nos villes et à présent de nos esprits. Après, je l’ai dit, des siècles où « avoir une belle mort » était pouvoir se préparer à partir, entouré des siens dans la conscience de son départ, « faire une belle mort » est devenu aujourd’hui mourir brutalement, dans un accident ou dans son sommeil, pour ne pas vivre l’angoisse de la séparation. On ne veut presque plus voir mourir un proche chez soi, on ne veille plus les morts. Ils sont gardés dans des morgues ou au funérarium lesquels sont, par ailleurs, souvent à la périphérie des villes, à côté du crématorium. Les rites qui réunissaient tout un village autour de la dépouille d’un ancien tendent à disparaître. On veut des guerres sans mort, une armée sans défunt, et à présent des hôpitaux où chacun ressort sur ses deux pieds, quel que soit son âge.

Or, à bien y songer, ce rapport à la mort est en train de tuer nos vies. Eros et Thanatos sont deux pulsions qui se nourrissent l’une de l’autre et doivent s’équilibrer. Si Thanatos disparaît, Eros s’amoindrit. Or derrière Eros se cache la pulsion de vie et le désir, qui génèrent aussi bien un élan créatif qu’une envie d’aimer, de se projeter dans l’avenir. Paradoxalement, en voulant éradiquer l’idée même de mort dans nos vies, nous sommes en train de construire une société dépressive déshumanisée où le seul mot d’ordre revient à dire que « vivre peut tuer ». C’est aussi cette pernicieuse idée qui se cache derrière la phrase effarante de notre Premier ministre « seul m’intéresse le nombre de réas ».

Qu’il s’agisse du terrorisme, de la violence répétée dans les manifestations ou de la gestion de la crise du Covid, l’unique moteur de nos dirigeants est la peur de la mort. Peur de l’attentat, peur d’une mort dans un cortège qui incendierait tout le pays, peur d’avoir des morts dans les hôpitaux.

Un sondage révèle aujourd’hui que la grande majorité des Français préfère prolonger le confinement. Certains (dont le gouvernement, mais la proposition a heureusement été rejetée par le Conseil Constitutionnel) avancent même que l’on devrait supprimer les manifestations pour éradiquer la violence. Autrement dit, il faut réduire encore notre liberté d’agir, de contrer, de réfléchir, de s’opposer, renoncer à un droit constitutionnel (pour lequel nos ancêtres n’ont pas hésité à payer le prix de leur vie !) pour atteindre le risque zéro. Au lieu de légitimement exiger de l’État qu’il soit efficace sur le régalien, qu’il fasse son travail en protégeant le citoyen qui demande à manifester pacifiquement, on envisage la suppression nette et définitive des droits de tous, pour avoir la paix.

Que sommes-nous devenus ?

Un peuple qui a peur, terré chez lui pour ne pas mourir ?

Un peuple qui renonce à toutes ses libertés sans rechigner, parce que « ça nous protège » ?

Interrogeons, une fois encore l’histoire. Jamais les privations de libertés, sous quelque forme que ce soit, n’ont protégé un peuple d’un péril. Nous cédons à une paresse coupable qui consiste à admettre, sans la moindre remise en question, que nous confions nos vies à des gens qui ne sont pas les mieux qualifiés pour décider de ce qui relève pour nous de l’« essentiel ».

La vie est courte, elle passe vite. Au XVIe siècle, déjà, Ronsard conseillait de se hâter de vivre et de profiter du jour. La privation de liberté, je l’ai dit, aboutit à du désespoir, par une absence de perspective heureuse. Or ce désespoir se nourrit de lui-même. Il conduit à un dangereux aquoibonisme, lui-même antichambre de la dépression résignée et donc de la soumission.

La mort est au bout, on ne peut le nier. Mais la regarder en face est le plus sûr moyen de dynamiser notre appétit de vivre ! Car on n’évitera pas de mourir. Nous vivons dans l’illusion. Mettre nos vies entre parenthèses nous aura juste permis de trouver le temps long.

Et inévitablement, à la fin du parcours, le bilan s’imposera. On se retournera sur nos vies pour se dire « qu’ai-je fait ? ». Il est normal et légitime de questionner le pourquoi de son passage sur terre.

Mais ne serait-il pas infiniment regrettable d’avoir à dire « que n’ai-je pas fait ? »

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