Quel goût aura notre liberté retrouvée ?

Nombreux étaient ceux, jusqu’à présent, qui attendaient le 8 mai, jour férié marquant la Libération, pour pouvoir souffler en restant chez eux. Cette année, chacun attend plutôt le 11 mai, celui de la liberté retrouvée, pour pouvoir enfin sortir…

Mais quel goût aura-t-elle, cette liberté confisquée, regrettée, puis sublimée, fantasmée, rêvée, espérée mais aussi – on le découvre chaque jour- crainte et redoutée ?

Quand le confinement a débuté, j’ai écrit, comme je le fais chaque fois qu’un sujet me touche. J’ai anticipé le fait que nous goûterions cette évasion comme jamais, que nous allions nous enivrer de ce nectar dont nous serions forcément assoiffés, savourant pleinement ce dont nous avions été privés, joyau inestimable dont nous mesurerions enfin le prix ! Au sortir de cet isolement, une énergie nouvelle, forcément, nous habiterait durablement, pensais-je…

C’était vrai et cela l’est toujours.

Toutefois, ce que je n’avais pas modélisé, c’est qu’elle naîtrait non pas d’un élan de joie à l’idée de la réappropriation de notre ancienne existence mais de l’urgence à s’adapter pour survivre dans un monde extrêmement abîmé. La réalité est là, devant nous : nous allons mobiliser nos ressources personnelles non par enthousiasme, mais par nécessité.

Crise sociale, crise sanitaire, crise politique, crise de confiance, crise économique, crise familiale ou crise personnelle. Peu de gens auront été épargnés par cet ouragan. Or plus on aura été frappé durement, plus devra être forte cette volonté de relever la tête. Dans ce champ de ruines, il va nous falloir traquer sans relâche le beau, le positif, la lumière, l’espérance.

Il y a quelques semaines encore, sur les réseaux sociaux, on plaisantait sur ce que pourrait être notre première sortie, le premier jour… Coiffeur ? Promenade sans limite de temps ? Shopping pour tout sauf de l’alimentaire ? Rencontre avec des amis ?

Ma première sortie, le 11 mai, sera pour aller chercher les cendres de mon père, mort dans cette épidémie.

Ce père qui m’a élevée, aimée, et que je n’ai pas pu accompagner dans ses derniers instants, que je n’ai pas non plus pu honorer dignement. Je n’ai pas envie de shopping et j’irai chez le coiffeur ultérieurement. Je veux juste pouvoir lui accorder ce qui lui -ce qui nous- a été volé : un temps de respect et d’hommage pour se dire adieu. Il appartenait au monde d’avant ce confinement. Celui d’après sera une vie sans lui. Être confronté à la perte… Je pense à tous ceux qui ont perdu des gens qu’ils aimaient, mais aussi à tous ceux qui ont perdu leur travail. Il n’y a pas de retour en arrière possible. Il ne faut pas « construire un nouveau monde », comme on l’entend à l’envi de la part d’acteurs politiques avides de récupération.

Il faut nous reconstruire, chacun, personnellement. Le « tissu social » est fait de gens. De personnes en chair et en os, qui ont une âme et un cœur. Ce ne sont pas des abstractions mais des individus. Cette crise a été d’une violence effroyable. De mensonges en trahisons, de règles stupides en incohérences absolues, nous avons été doublement malmenés. Prenons le temps nécessaire au recueillement. Toute épreuve porte en elle les germes d’une renaissance. Ne permettons pas qu’on nous la confisque. Dehors, il n’y a pas  « la vie ». Il y a la nôtre. Celle qui nous reste, celle que l’on veut partager, celle qu’on a envie de vivre. Pour certains, cela peut être le moment d’une réorientation professionnelle, pour d’autres le début d’une nouvelle histoire personnelle. Les amours, les amitiés, toutes nos relations ont été forcément modifiées. Il y a des liens qui se sont distendus et d’autres qui se sont magnifiquement renforcés.

Nous ne retrouverons pas notre insouciance. Elle nous a été volée pour longtemps. Le passé est à jamais révolu. Mais c’est aussi dans la guerre que l’on reconnaît les princes. Nous devons nous réinventer, pour nos enfants, mais aussi pour nous-mêmes. L’enjeu de cet « après » est unique et incontournable : il faut que cet arrêt soit celui d’un nouveau départ. Que tout ce chagrin ne soit pas vain. Si nous sommes encore debout, c’est que nous avons été plus forts. Plus forts que la maladie ; que le désespoir. Il y aura des moments maudits. Mais ne perdons jamais l’essentiel : la vie est un miracle.

Et nous sommes en vie.

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