Une loi qui ne fait pas un tabac…

La ministre de la santé « réfléchit » à l’idée d’interdire aux cinéastes les scènes où les acteurs seraient en train de fumer. (Vous noterez que j’ai écrit « acteurs », mais cela vaut donc aussi pour les actrices, l’Académie s’étant prononcée contre l’écriture inclusive !).

Plusieurs articles ont, à juste titre, relayé les scènes cultes au cinéma et l’on ne résiste pas à l’envie de citer encore quelques souvenirs : Clint Eastwood allumant la mèche d’un bâton de dynamite avec son cigare, Pierre Fresnay relevant la tête, son mégot au coin des lèvres, Lino Ventura ou Romy Schneider aspirant sensuellement la fumée…

Et que dire de Marlene Dietrich ou de Rita Hayworth qui, tenant un fume-cigarette, ont fait fantasmer des générations entières…

On a supprimé, voilà des années, la petite cigarette de Lucky Luke pour la remplacer par un brin d’herbe. Les jeunes gens ont-ils moins fumé pour autant ?

Pourquoi d’ailleurs s’en prendre juste aux cinéastes et pas aux romanciers ? Combien de films sont des adaptations de livres ? Peut-on imaginer transposer Maigret et lui confisquer sa pipe sans que cela ne soit une trahison vis-à-vis de Simenon ?

Ce qui amène, dans un deuxième temps, à s’interroger sur le choix particulier du tabac. Oui, les chiffres sont alarmants ; oui, le cancer tue. Mais l’alcool fait des ravages, tout comme la cocaïne ou même… le sucre ! Or quand vous allez au cinéma, on vous passe en boucle toute une série de publicités de friandises grasses et sucrées destinées à vous donner envie de les consommer pendant la projection  puisqu’elles sont en vente sur place. Et que dire du pop-corn, qui a le double avantage d’horripiler vos voisins et de vous mettre sous perf de cholestérol pendant deux heures et demi !

Tout cela manquerait donc et de rigueur et de logique.

On peine à mesurer l’impact de cette éventuelle décision sur la santé publique. Irais-je fumer après un film dans lequel on a fumé si je suis non-fumeur ? Certes non. Arrêterais-je de fumer si je viens de voir un film dans lequel personne ne fume ? Pas davantage.

En revanche, en matière de liberté d’expression, cette décision serait effroyable. Non, madame la ministre, les artistes, les auteurs en tous genres, ne sont pas là pour donner de bons conseils aux citoyens, pour qu’ils fassent leurs huit heures de sommeil et mangent équilibré. Un cinéaste ou un écrivain a une représentation du monde et son art lui permet de s’exprimer et de proposer de s’extraire du réel en le transfigurant.

Votre rôle de femme politique, et particulièrement de ministre de la Santé, est de faire de la prévention, d’informer, de dissuader, et de soigner. Cela ne passe pas par la censure quelle qu’elle soit.

Parce que dans une démocratie qui se respecte, RIEN ne doit passer par la censure, même la cause la plus noble.

Voltaire l’a très bien expliqué.

Un artiste doit être libre ; libre de créer, de transgresser même, sans aucune contrainte idéologique.

Et que ferons-nous des films étrangers qui ne subiraient pas cette loi inique ? Faudrait-il leur interdire le territoire ? Vous risquez, je le crains fort, d’obtenir l’inverse de ce que vous souhaitez mettre en place : des gens comme moi, allergiques au tabac, deviendront de farouches défenseurs de la cigarette, au nom de la liberté d’expression qui leur est si chère !

Et pensez aux artistes et aux chefs-d’œuvre dont l’univers était et demeure indissociable de la cigarette.

Dieu est fumeur de Havane, madame, et il est éternel.