Virus : la société devrait-elle muter aussi ?

 

 

Nous avons été tour à tour incrédules, stupéfaits, terrorisés, atterrés, puis résignés, dubitatifs, lassés, agacés, fatigués voire déprimés, ou révoltés.

Mais nous n’avons pas encore muté.

Or, le virus, qui lui a toujours un coup d’avance, apparaît dans différents pays comme ayant varié, ce qui le rend plus contagieux sans, pour l’instant, qu’il ne soit nécessairement plus grave. Cette donnée essentielle, si elle n’est pas dans l’immédiat de nature à affoler, doit pourtant nous inviter à réfléchir. Car on sent bien qu’une course contre la montre s’est engagée, que nous n’allons pas forcément gagner. Plus le virus se transmet, plus il a des chances de muter. Certains avancent que la vaccination de masse, à l’échelle planétaire, mettra fin à cette pandémie ; d’autres que le virus aura le temps de se modifier cent fois avant que l’ensemble de la population mondiale ne soit protégé, ce qui s’entend tout aussi bien. Les retards dans la fabrication des vaccins interrogent… La prudence étant de mise, l’incertitude invite à la modestie.

Mais puisqu’il ne s’agit ici nullement d’un propos scientifique, peut-être pourrions-nous aborder le sujet par le biais d’une autre grille de lecture : si le virus s’adapte au biotope, peut-être devrions-nous nous adapter à lui.

Et c’est alors toute une façon de penser la crise qui est à revoir. Car cette pandémie pourrait, justement, ne pas être une crise, mais une bascule dans une ère nouvelle : celle d’un monde perturbé par des maladies qu’il nous faudra soigner et contrôler, mais avec lesquelles nous allons peut-être devoir réapprendre à vivre et… à mourir.

Peut-on enfin commencer à intégrer que l’humain a une espérance de vie bornée, même si elle a progressé considérablement sur le dernier siècle ? Peut-on entendre que ce virus n’a, pour l’instant, tué pratiquement personne en France en dessous de 44 ans ? Que la moyenne d’âge des gens qui décèdent est de 84 ans quand l’espérance de vie est de 85,7 ans pour les femmes et de 79,8 pour les hommes dans notre pays ? Et admettre que lorsqu’on a 93 ans, en Ehpad, on est déjà un champion de la longévité ? Par ailleurs, que n’a-t-on infligé à nos anciens au nom de cette sacro-sainte prudence ! De mourir esseulé, sans amour, sans chaleur, sans famille ! Mais comment expliquer ces atrocités et cette violence autrement que par de l’aveuglement ou de l’inconscience ?

Enfin, peut-on considérer, à présent, que la vie d’un enfant ou d’un adolescent est, oui, j’ose le dire, plus précieuse que celle d’une personne très âgée qui a bien vécu et à qui il ne reste que quelques mois d’espérance de vie et que l’on n’a pas le droit d’abîmer ainsi notre jeunesse dans un enfermement sans espoir, au fil des semaines qui passent ?

Il existe aujourd’hui, clairement, deux France. L’une qui a continué à travailler ou à toucher son salaire. Celle-là donne des leçons de civisme, parle « responsabilité », « altruisme », « égoïsme », si l’on évoque le fait qu’il ne faut pas confiner ni mettre de couvre-feu. Elle hurle « il y a des morts ! » d’un air affreusement outré dès que l’on avance que peut-être, peut-être, en prenant toutes les précautions d’usage, il serait envisageable de rouvrir les théâtres et les cinémas et de laisser travailler les restaurateurs.

Cette France-là est celle du confort : réflexive et égocentrée, elle a simplement peur pour elle-même.

Et puis il y a l’autre France, celle des étudiants qui, ayant perdu leur job et leur chambre, prennent des antidépresseurs après avoir décroché de la fac parce qu’il est trop dur de ne jamais voir personne et de suivre des cours à distance : celle d’une jeunesse qui se gâche alors qu’elle a un avenir à construire ; il y a la France des restaurateurs qui se suicident parce qu’ils ont tout perdu et n’ont plus d’espoir de survie, celle des théâtres privés qui ne rouvriront jamais, des salles de sport qui déposent le bilan, de tous les petits commerces « non-essentiels », tellement non-essentiels qu’on trouve normal de les fermer pour qu’ils meurent en silence ; cette France des artisans et des artistes, de tout ce savoir et ce savoir-faire qui sont en train de disparaître au fil des jours, inexorablement, au nom de cette satanée prudence. C’est une partie de notre France qui se meurt, un pan de nos concitoyens et de notre économie que l’on détruit sans sourciller.

Allons-nous enfin comprendre qu’avec toutes ces mutations virales qui nous guettent, il est urgent d’apprendre à vivre normalement, courageusement, en conscience et en responsabilité ? L’égoïsme n’est pas de vouloir sortir de chez soi, l’irresponsabilité n’est pas de vouloir retravailler. Ne nous aveuglons pas !

En quelques mois, nous avons écrasé notre devise. La liberté est partie en fumée, l’égalité n’est plus, puisque certains peuvent travailler et que d’autres en sont empêchés, la fraternité a disparu, puisque chacun regarde son quant-à-soi sans entendre la détresse de l’autre.

Nous ne pourrons tenir des années.

Or aujourd’hui, personne ne peut certifier que cette crise effroyable trouvera une fin heureuse dans les mois à venir.

Le virus fera ce qu’il veut. À nous de nous adapter et de changer. Cessons cette peur irraisonnée, aliénante, qui nous enferme. Soyons courageux et solidaires. C’est le seul moyen de sortir de cette impasse. Contrairement à ce qu’on nous dit, ce n’est pas le SARS-COV2 qui doit diriger notre vie.

Notre vie sera ce que nous en ferons.

La fraternité ne passe que par l’égalité et la liberté.

Peut-être serait-il temps, à notre tour, de muter.

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