Reconstruction de Notre-Dame entre espoir et colère !

 

Comme l’immense majorité des Français, j’ai assisté, effondrée, à la destruction inéluctable de la charpente et d’une partie de Notre-Dame.  Je l’avais saluée l’après-midi même, l’admirant comme chaque fois, émue de voir cette dentelle de pierre se découper sur un ciel pur. Le traumatisme fut terrible pour nous tous. Sous nos yeux, un savoir faire de plus de huit cents ans partait en fumée.

J’ai fait ce que je ne fais jamais d’habitude : j’ai livré en temps réel  mes émotions sur mon compte Twitter. Sans doute avais-je le sentiment que nous étions tous suspendus au moindre détail et que nous avions besoin de partager notre chagrin et notre effroi. Comme je l’ai écrit, au-delà de tout clivage politique, la déclaration de notre Président en fin de soirée a été la bienvenue. L’entendre nous dire « nous la reconstruirons » a été bénéfique pour le moral. C’étaient les mots attendus, l’idée que notre joyau n’allait pas disparaitre et qu’un jour, ce 15 avril ne serait plus qu’un lointain cauchemar.

Dès le lendemain, les dons ont commencé à affluer. Une bénédiction ! Les promesses pourraient donc être tenues sans amputer encore le budget de l’État ni creuser la dette. Si des esprits chagrins s’en sont indignés et ont encore trouvé à redire, tant pis ! La reconstruction seule importe et elle était déjà initialisée.

Et puis sont arrivées les annonces gouvernementales. « Nous la reconstruirons en cinq ans », « nous lançons un concours international pour refaire la flèche de Viollet-Le-Duc », sans compter les déclarations de la maire de Paris insistant sur le fait « qu’il fallait que la cathédrale soit terminée pour les Jeux Olympiques ». Et là, mon malaise a été grandissant.

Reconstruire Notre-Dame, oui, assurément. Mais pas comme s’il s’agissait d’une sous-préfecture. Une cathédrale n’est pas juste « de l’architecture » comme j’ai pu l’entendre ou le lire. Non, il ne nous appartient pas de la moderniser et encore moins en cinq ans ! Une cathédrale répond à une démarche sacrée, mystique, qui s’affranchit du temps humain sur terre pour justement représenter l’éternité divine. La nef, le chœur et le transept, en forme de croix sont un rappel de la Passion christique. Jésus s’est fait homme et la cathédrale nous rappelle notre condition humaine et ce vers quoi nous devons tendre : notre Créateur. Les compagnons qui ont entrepris ce vaste chantier, au prix parfois de leur vie, savaient qu’ils n’en verraient pas la fin. Mais ce n’était pas dans cet esprit qu’ils ont lancé les tours vers le ciel, ciselé les vitraux qui magnifient la lumière ou dentelé la pierre pourtant si dure. C’est pour offrir leur vie à Dieu, monter vers le Très-Haut et laisser une trace de leur passage comme un témoignage qui se transmettrait aux générations futures, intact, afin qu’elles le transmettent, intact, à leur tour.

Prétendre modifier ce projet ou le réaliser en un temps record pour qu’il soit prêt pour des JO qui n’ont rien à voir et qui ne durent que trois semaines montre à quel point nos politiques n’ont pas, justement, la culture nécessaire sur ce dossier et, ce qui est plus grave, le respect que l’on est en droit d’attendre de leur part. Qui sommes-nous pour modifier un édifice sacré qui arrive du fond des âges, chef-d’œuvre de l’art gothique, dans lequel s’est déroulé tant de pages essentielles de notre histoire, de Napoléon à De Gaulle, et temple majeur de l’Église catholique ? Atterrée, j’ai pu lire la froide dépêche du Vatican en ce funeste lundi soir, qui exprimait juste « sa proximité avec les Catholiques français », montrant que même le pape ne mesurait pas non plus ce que représente Notre-Dame pour la France en général et plus largement pour la vielle Europe et pour le monde entier.

La vérité s’est exprimée dans la rue où pratiquants et non-pratiquants, croyants et non-croyants s’affligeaient dans une même douleur. Notre-Dame est un symbole français. Il n’est pas multi-culturel comme on essaie encore de le faire devenir avec ce concours ouvert à l’international. Non, ce n’est pas à un architecte chinois ou américain de créer une nouvelle flèche qui n’aura rien à voir avec celle qui nous arrivait du XIXe grâce à Viollet-Le-Duc. On peut revenir sur la polémique déclenchée à l’époque, il y a 120 ans : il n’empêche, c’est ainsi qu’elle est entrée dans notre ère, ainsi que nous l’avons toujours connue et aimée, ainsi que nous devons la restituer et transmettre. C’est à des compagnons français de la refaire avec leur savoir ancestral, transmis par leurs aînés. Avec respect et dévotion comme seul eux sauront le faire. Nous sommes amenés, nous Français, à communier un jour non pas dans la foi mais dans la ferveur retrouvée devant notre cathédrale rénovée par nos frères, comme un joyau qui témoignera de notre infini respect et de notre conscience spirituelle – je n’ai pas écrit religieuse. La refaire à l’identique, c’est être sûr que lorsque ce jour adviendra, il n’y aura aucune polémique. Juste de la fierté et de la joie.

Ceci n’est pas faisable en cinq ans. Notre-Dame nous a été confiée par nos aînés. Nous avons failli à la protéger. Le moins que l’on puisse faire est de la restaurer à l’identique pour être en mesure de la confier à notre tour. Nous devons à cette sublime cathédrale qui incarne l’éternité depuis des siècles de lui accorder le temps et le soin qu’elle mérite, et de ne pas bâcler sa délicate restauration pour satisfaire les ego de nos politiciens.

Notre-Dame incarne la chair, les racines de notre pays, ce qui nous lie et nous relie, au-delà de tout, entre nous. Plus qu’un édifice, c’est une conscience collective et chacun de nous l’a réalisé en la voyant brûler. Elle ne nous appartient pas : c’est nous qui lui appartenons.

Nous demandons à nos politiques de retrouver l’humilité qui sied face à cette délicate reconstruction et surtout de ne pas dénaturer le projet initial qui a fait naître et vivre cette cathédrale.

Sans quoi Notre-Dame y perdra son âme, et les Français la leur.